Rencontrer, ressentir, raconter
Rencontrer
Le regard implique une échelle de valeurs, dans tous les sens du terme. La photographie illustre ce principe, surtout lorsque l'on choisit de pratiquer une véritable photo-graphie, c'est à dire de choisir dans l'instant un point de vue, prenant conscience de ce qu'il se passe en une fraction de seconde.
Il faut peut-être trouver la bonne position, il faut peut-être reculer, s'accroupir ? Changer de focale d'objectif ? Régler manuellement l'exposition ou laisser en automatique ? Renoncer à la photographie pour jouir de l'instant ?
De même, pour un tirage photographique exposé, il y a une approche :
Regarder peut être, est, un travail.
Être en Atelier
Lorsque je commence une sculpture, tout comme quand je visite une exposition, j'établis en moi une disponibilité intégrale, avec un temps d'adaptation à son échelle, pour établir un équilibre, ne pas la dominer, ne pas rater le rendez-vous. À L'atelier, l'échelle devient une notion relative ; la concentration, la sincérité, évacuent la domination. L'échelle de l'oeuvre est la mienne ; cela permet aussi de la voir "plus grande", comme je l'ai fait avec les "Lieu".
Une sculpture de voyage, par exemple, a la particularité d'atténuer grandement la notion d'échelle, car le sens du toucher, contact direct de la matière, permet d'évacuer la distanciation, la domination. Le regard visuel, avec son côté "sens principalement utilisé", a tendance à donner une habitude de distanciation.
Nommer ?
Le besoin de "contrôle" réclame un sens qu'aurait prévu l'artiste, une dénomination.
Le mot va t-il rassurer ? Malheureusement, le mot resserre ou ferme le sens, et peut éloigner du ressenti.
Ainsi, aux demandes réitérées de visiteurs, de regardeurs donc, j'ai répondu parfois par une notion de famille, lorsqu'il est manifestement possible d'établir une sorte de parenté entre certaines sculptures, et surtout à partir d'un substantif marquant.
De mémoire, l'exemple le plus prégnant est le mot "sphinx". Lors de l'exposition/installation dont j'avais eu l'idée en 2020. Il fallait un titre pour l'affiche et pour avertir de ce qu'il devrait arriver.
"Tête à tête avec le Sphinx" me vint, comme idée claire de mon attitude générale, que j'essaierais de partager avec les lecteurs/visiteurs de la librairie de mon village, espérant que de ce tête-à-tête avec une sculpture naîtraient des mots, des phrases, des textes.
Ce qui eut lieu ; mais nombre des "écriveurs" restèrent attaché(e)s au titre de l'installation et à l'image, qui montrait sans doute une parenté avec le sphinx d'Oedipe.
Sphinx
Il était loisible à chacun, d'extrapoler selon sa propre culture , sa poésie, ses pensées...Y compris d'interpréter symboliquement le sphinx comme représentant de l'"énigme personnelle". Ce qui était mon cas.
Les sculptures présentées alternativement étaient très différentes l'une de l'autre mais présentaient une parenté.
D'où une notion de "Famille de Sphinx"
alors que chaque sculpture avait été créée indépendamment, sans idée de série.
Les "Lieu"
Plus frappante encore doit être la relation aux "Lieu".
J'ai disqualifié le pluriel (x) pour ces oeuvres nées, en gros au cours d'une année, à la suite d'une rencontre au bord d'un chemin avec un arbre singulier, qui a fait remonter des "vécus d'enfance".
Dans l'enfance, j'ai habité parmi de grands arbres, plusieurs centenaires, dont je peux considérer qu'ils sont des figures tutélaires, bienfaisants comme des parents naturels. Je grimpais sur eux, jusqu'à plus pouvoir, comme j'avais pu me jucher sur les épaules de mon père, ou dans les bras de ma mère. Quelle chance d'avoir, non seulement ses deux parents humains mais en complément ces grands êtres mystérieux. Plus tard, ce furent les cathédrales qui me firent un effet parent, par la hauteur des colonnes, une même impression de paix, les luminosités changeantes, les chatoiements des vitraux m'évoquant les variations colorées des feuillages au long des saisons. Les vitraux comme fenêtres d'histoires, les frondaisons comme voûtes multicolores d'autres façons de raconter.
Ainsi est né le mot singulier "Lieu"comme une sorte de synthèse, après des décennies, d'une mémoire multiforme insistante, où l'horizontal parle autant que le vertical, devenant par la "pierre céramique" une sorte de petite stèle, une statuaire-peinture autour de laquelle déambuler en perdant l'échelle humaine, prêt à exprimer silencieusement une forme de respect et une calme joie de vivant.
En un lieu précieux à l'être.
Il y a donc eu des "Lieu" successifs, explorant cette sensation particulière,
la mémoire étant comme un océan aux ondes mouvantes qui livre des combinaisons formelles.
Extrait :
Enfant je marchais en m'amusant des dessins au sol, bientôt gommés par un nuage, je levais les yeux pour guetter le retour des rayons.
Les feuillages s'éclairaient à nouveau, les dessins revenaient, ainsi j'allais mon chemin. Au crépuscule, les ombres longues annonçaient le mystère dont j'attendais les cris soudains, les bruissements d'ailes... Au réveil, à la fenêtre je saluais le marronnier, j'irais peut-être m'asseoir dans la fourche du châtaignier, ou grimper à la cime du cyprès. Le monde, du plus ras de terre au plus haut possible, regards en allers-retours.
Passer de la houppe forestière à la voûte de cathédrale fut simple. Muni de mon appareil photographique, j'arpentai les nefs, regard rythmé par la succession de colonnes, tout en cherchant les jeux de couleurs sur les dalles. Là-haut, l'alternance aléatoire de nuages rendait opaques ou lisibles les histoires racontées par les vitraux. À mes pieds, les images se transformaient en touches picturales, dont certains à-plats étaient parcourus de traits et de reliefs.
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